Lone Rider – The first british woman to motorcycle around the world — Auteur: Elspeth Beard — Édition 2017 — Éditeur: Michael O’Mara Books.

Compte-rendu de lecture.

Nous sommes nombreux à avoir rêvé de participer au Paris Dakar, de restaurer un voilier pour sillonner les mers et les océans, de parcourir le monde d’une manière ou d’une autre…

Elspeth l’a fait, abandonnant provisoirement ses études d’architecture à Londres.

Le 3 octobre 1982, dans l’attente de son vol vers les États-Unis, angoissée, elle pleure à l’aéroport d’Heathrow, déstabilisée par ses doutes. Sa moto BMW R60/6 est déjà en route, sur un cargo.

L’auteure relate son voyage exaltant, mais aussi douloureux et ardu. Elle était souvent seule et elle ne disposait ni d’internet ni de téléphone mobile (début des années 80 !). Elle communiquait grâce à la poste restante.

Avant l’aube du 22 novembre 1984, sur sa moto, très amaigrie et affaiblie, Elspeth attend devant chez ses parents. Elle a parcouru le monde pendant plus de 2 ans.

Je rédige quelques repères pour celles et ceux qui aimeraient mesurer l’ampleur de l’aventure et les mettre en appétit d’une lecture qu’ils apprécieront à coup sûr.

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Une famille anglaise aisée et un papa extravagant

Elspeth relate d’abord brièvement une enfance et une adolescence banale à Londres, si ce n’est un papa « qui est son propre maître », inventif et sympathique. Chaque été, la famille visite l’Europe en voiture.

À l’adolescence, Elspeth est initiée à la pratique de la moto par ses amis. Elle débute avec une Yamaha 100 cm³, puis achète sa BMW.

Une envie de parcourir le monde et peut-être de marquer les esprits

Une déception sentimentale est probablement le petit déclic qui décide Elspeth à perdre le large et à vivre sa vie en grand. Alors étudiante, courageusement, elle travaille comme serveuse le soir et le week-end afin de financer son voyage. Elle tente en vain de convaincre des sponsors. Pour résumer, les réponses étaient du style : « une femme qui ferait le tour du monde en moto ? Quelle rigolade ! ». Qu’à cela ne tienne, la jeune femme apprend la mécanique de sa machine, démonte et remonte totalement le moteur et la transmission par cardan. Elle prépare aussi un stock de pièces de rechange.

L’aventure totale

Après un ou deux road trips en Europe, la motarde ne fait pas dans la demi-mesure : ce sera un tour de la terre en direction de l’ouest. Elle voyagera seule.

Elspeth commence son périple aux États-Unis d’Amérique sans disposer d’un budget suffisant. Peu importe, puisqu’elle envisage de travailler pendant quelques mois en Australie.

Des rencontres

Deux années pendant lesquelles la motarde est totalement isolée de son cercle familial et amical imposent une adaptation. Dans ce contexte, autant accueillir les rencontres que le destin procure.

Des amitiés fortes et des amours sont nés en chemin. Les difficultés de la route rendent précieuses les complicités et les entraides. Certaines synergies ne durent que quelques centaines de kilomètres, comme cette fois où, en Australie, Elspeth a fait équipe avec un chauffeur de train routier pour traverser des zones inondées. D’autres circonstances nouent des liens éternels. Je pense à cet impossible amour avec Robert.

La jeune femme a aussi affronté des comportements malveillants ou carrément coupables, comme ce risque de viol aux USA. C’est le gérant du motel, pistolet en main, qui l’a sauvée.

Des découvertes

Étudiante en architecture, la voyageuse effectue des détours substantiels afin de visiter les sites d’intérêt. Le texte est entrecoupé de descriptions paysagères et architecturales.

La lecture apporte une considération toute particulière, très ethnographique, aux différences culturelles et aux modes de vie. Elspeth nous offre le rare et précieux regard d’une femme seule, vulnérable, désargentée, voyageant sur une vieille moto rafistolée.

Des déconvenues, principalement administratives

L’Inde est le pays qui a le plus éprouvé la santé mentale de la globe-trotter. Entre bakchichs et imbroglios administratifs, les situations parviennent à dépasser l’imagination de Kafka. Les vas et viens entre des bureaux aux missions saugrenues et absurdes parsemées aux quatre coins d’une ville peuvent parfaitement s’engager dans des boucles récursives. Par exemple : votre moto ne peut pas sortir du territoire pour des raisons nébuleuses, mais comme vous êtes entrée dans le pays avec celle-ci, vous ne pouvez pas partir sans. La crise peut durer des semaines. L’ami Robert a particulièrement souffert dans un de ces pandémoniums bureaucratiques.

Des pannes

La moto n’est pas de première jeunesse, et le voyage débute alors que le potentiel de certains composants est déjà bien entamé. Elle ne dispose pas des technologies les plus récentes, ce qui est un inconvénient ou un avantage selon les circonstances. Par exemple, l’allumage électronique d’une moto japonaise de l’époque est capable de fonctionner parfaitement pendant la durée de l’aventure. Mais en cas de panne rarissime au milieu de nulle part, il faut transporter le véhicule, commander une pièce onéreuse et la faire livrer. Sur la vieille BMW, les rupteurs (ou vis platinées, ou « points » en anglais) doivent être remplacés quelques fois, parce que l’allumage devient irrégulier. Mais ces défaillances sont gérables sur le bas-côté avec le stock de pièces de bord.

Elspeth a réparé de nombreuses avaries : crevaisons, pannes électriques, courts-circuits et incendies électriques, remplacement des rupteurs, condensateurs, bougies et bobines d’allumage, ruptures des câbles des commandes au guidon, un changement du couple conique de la transmission par cardan, dégauchissages de pièces déformées lors d’accidents. Elspeth trouve occasionnellement de petits ateliers de mécanique ou d’électricité providentiels au milieu de nulle part, en Australie et en Asie.

Le franchissement de gués nécessite parfois un démontage du carter du système d’allumage pour sécher les vis platinées dysfonctionnelles.

Remarquons que l’aventurière a construit elle-même l’ensemble de coffres arrière en tôle d’aluminium rivetée.

Des accidents

Les chutes sont inévitables sur les routes défoncées, parfois non recouvertes de bitume. La lecture de l’ouvrage laisse penser que c’est l’absence de collisions qui est l’anomalie, tellement les conducteurs sont intrépides ou complètement fous : la motarde doit fréquemment se déporter dans le bas côté pour ne pas percuter de front une voiture, un camion, un autobus qui effectue un dépassement quand il ne faut pas. Le risque vient aussi des kangourous, des chiens errants, et même d’un enfant qu’un père projette devant la moto pour provoquer un accident qu’il espère rémunérateur. Terrifiant !

Des maladies

Dans un environnement difficile, ne prenant pas grand soin d’elle et de son alimentation, l’aventurière a rencontré quelques virus et bactéries sur son chemin. Les compagnons de route qu’elle a côtoyés ont subi les mêmes tourments. En certains lieux, l’accès aux soins est difficile ou éloigné. Bien souvent, les voyageurs n’ont dû compter que sur leur vaillant système immunitaire pour se rétablir. Elspeth a vécu des moments de grandes souffrances physiques et de faiblesse.

Un déroutant retour à la vie londonienne

Retrouver Londres, la famille et les amis dans la quiétude est presque un choc. Peut-être doit-on passer par une période bizarre et un peu de déprime après tant de luttes et de combats quotidiens.

L’auteure se rend compte que personne ne mesure la prouesse qu’elle a accomplie. Ce qu’elle relate est entendu, mais pas compris. C’est juste hors de portée culturelle pour ceux qui l’écoutent. Ça ne les intéresse pas ! J’ai commis cette erreur lorsque mon regretté ami Daniel R. nous racontait son tour du monde en vélo peut-être contemporain et presque sur les mêmes routes qu’Elspeth. Je considérais son témoignage un peu comme un récit de vacances. Je regrette de ne pas avoir plus prêté attention à tout ce qu’il avait à m’apprendre. Je déplore aussi de ne pas lui avoir montré plus d’intérêt pour son exploit. Daniel n’a pas publié la mémoire de son périple et c’est dommage.

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Dans cette aventure, il y a eu des drames, des accidents, des souffrances, des doutes, et aussi la liberté façon grand large. Elspeth a encerclé la planète, l’a étreinte dans sa boucle dans le désire de l’appréhender en totalité. En chemin, elle a rencontré l’amour, l’amitié, la camaraderie, la générosité, et la chicanerie, la malveillance, la cruauté, la bêtise, la violence. Quoiqu’il en fut, bien qu’elle soit allée au bout du bout de ses forces, à l’extrémité de ses capacités, elle a tenu le cap. Elle est revenue vivante !

Elspeth s’est soustraite à son schéma de pensée bourgeois européen pour percuter de face les autres cultures, mentalités, systèmes de valeurs. Je lui adresse mes compliments, parce que nous savons tous à quel point notre jugement est exigu et borné.

Comment est-on transformé après une telle aventure ? Est-on « guéri » ? Ou bien est-on traumatisé ? Est-ce psychothérapeutique, ou est-ce la porte ouverte à la pathologie psychique plus ou moins sévère ? Elspeth va plutôt bien, il me semble. Après son aventure, elle a terminé ses études d’architecture, travaillé un peu comme sous-traitante avant de fonder son agence. Elle a acquis et rénové un immense château d’eau en brique qui est devenu son domicile. Elle mène une vie presque banale. Elle possède toujours sa « Béhème ». Pour ceux qui veulent vérifier cela, je propose le lien vers le compte Facebook d’Elspeth Beard :

https://www.facebook.com/elspeth.beard

Il existe une édition en français. Il s’agit de : Seule, En Moto de Elspeth Beard ; traduit par Brigitte Lafargue ; l’éditeur est La Mala Suerte Ediciones ; 1 août 2024 ; ISBN : 978-84-124983-8-7 ; EAN : 9788412498387.

Je suis très reconnaissant de pouvoir lire ce récit d’aventures et plein d’émotions et je pense vivement à Daniel que je n’ai pas su écouter lorsqu’il en était encore temps.

Merci à Elspeth Beard !