Nous avons tous fantasmé à propos de la mécanique quantique, cette ténébreuse affaire dont on ne connaît fichtre rien. Mais la culture, c’est comme la confiture, etc. Et le pire, c’est de n’avoir même pas une bouchée de confiture.
Ainsi, il est bon de lire « Le grand roman de la mécanique quantique ». Je recommande.
Ce texte n’est pas une critique. C’est plutôt un compte-rendu de lecture, personnel et subjectif.
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« Mécanique quantique », dites-vous…
C’est une branche de la physique qui concerne l’échelle de taille atomique et subatomique.
Il s’agit de tenter de prévoir la suite des événements en fonction de ce que l’on connaît d’un système, comme il est de coutume, pour ceux qui pratiquent les sciences.
Et le mot « quantique » ? Quèsaco ? D’abord, ne pas confondre avec « cantique », chant ecclésiastique ! En fait, « quantique » vient du mot « quantum » (latin) signifiant quantité. Dans le cas de la physique mécanique, le mot signifie plus petite quantité indivisible (ou discrète). C’est une quantité qui vient en nombres entiers. On peut en comptabiliser 1 ou 2 ou 3…, mais pas 1,4. Par exemple, un atome possède un nombre entier d’électrons.
La théorie actuelle de la mécanique quantique exploite une difficile abstraction ne permettant pas de connaître la totalité du constat du réel, autorisant seulement d’établir un ensemble de probabilités. La levée de la probabilité par l’expérience ne révèle qu’une partie de la connaissance, perdant définitivement l’autre partie des informations.
Cette branche des sciences chagrine les théoriciens, parce que l’imagination humaine échoue à représenter ou comprendre ce qui se passe réellement. Même actuellement, ils font leurs calculs savants, tout en naviguant dans le brouillard.
Corpuscules ou Ondes ?
Depuis longtemps, bon nombre de phénomènes physiques peuvent être envisagés comme l’existence de petites particules (boules de billard qui interagissent) ou comme la manifestation d’ondes (vagues qui se propagent sur l’eau).
Au début du 19e siècle, lors de l’émergence de la physique quantique, les manifestations réelles étudiées sont souvent également justifiables par l’implication de corpuscules ultramicroscopique ou par des ondes.
Par exemple, Niels Bohr et Werner Heisenberg étaient à fond pour le quantum alors que Louis De Broglie et Erwin Schrödinger ont aussi œuvré côté ondes. Les deux approches ont souvent permis d’obtenir des résultats identiques.
Une armada de jeunes scientifiques audacieux
Une multitude de savants théoriciens et expérimentaux, pour la plupart très jeunes, œuvre à l’élaboration de la physique quantique, parmi lesquels (j’en oublie) : John Stewart Bell, David Böhm, Niels Bohr, Max Born, Ludwig Boltzmann, Arthur Compton, Clinton Joseph Davisson, Louis De Broglie, Paul Dirac, Paul Ehrenfest, Albert Einstein, James Franck, Lester Germer, Gustav Hertz, Wilhelm Wein, Wilhelm Röntgen, Ernest Rutherford, Wolfgang Pauli, Arnold Sommerfeld, Werner Heisenberg, Samuel Goudsmit, Hendrik Anthony Kramers, Max Planck, Boris Podolsky, Nathan Rosen, Erwin Schrödinger, John Clarke Slater, George Paget Thomson, George Ulhembeck…
« L’inquisition » de l’École de Copenhague
C’est Niels Bohr qui s’impose comme le leader de la mécanique quantique. Le gouvernement danois construit un institut et un luxueux logement pour lui et sa famille.
Niels Bohr tient le gouvernail fermement et décide de ce qui doit être considéré comme orthodoxe ou ne l’est pas. Le très jeune Werner Heisenberg craque psychologiquement, au début de sa collaboration avec Niels Bohr, alors qu’il est invité à Copenhague. Bohr édicte sans coup férir, et en même temps, lui et sa famille sont d’une grande prévenance et tellement sympathiques.
Ultérieurement, c’est un Erwin Schrödinger dissident et favorable à l’ondulatoire qui est sous la pression douce-amère de Bohr et… Werner Heisenberg ! Il fait un burn-out et tombe malade !
Ce dogme (employons aussi pour l’occasion l’affreux oxymore « consensus scientifique ») de l’École de Copenhague a quelque chose de sectaire.
Le grand malaise et la grande controverse
Einstein a soutenu pendant 50 ans, et jusqu’à la veille de sa mort, l’idée d’une incomplétude de la théorie de la mécanique quantique de l’École de Copenhague et son impossible description du réel. Cependant, Bohr, son promoteur, a perpétué une controverse ardente pour imposer ses vues à Einstein.
La physique quantique de Copenhague n’a pas été challengée jusque vers 1970. Puis des doutes se sont progressivement ajoutés à ceux d’Einstein. On peut citer le prix Nobel Murray Gell-Mann : « Niels Bohr avait mis dans la tête de toute une génération de physiciens que le problème avait été résolu. » On peut aussi évoquer Paul Dirac et Roger Penrose, tous deux Prix Nobel.
Une nouvelle théorie de la mécanique quantique émergera peut-être dans le futur. D’ailleurs, en 1999, lors d’un congrès international à Cambridge, 90 physiciens se soumettent à un sondage. 4 seulement choisissent l’interprétation de Copenhague comme étant satisfaisante. La majorité n’en est pas satisfaite.
Même si ce n’est pas son objet principal, le livre ouvre une lucarne sur le germe de l’horreur, pendant les « années 30 »
La lecture accompagne le déroulement de l’histoire de la découverte de la mécanique quantique. Pour diverses raisons, et suite aux conséquences de la première guerre mondiale, dès la deuxième moitié des années 20, une ambiance pénible s’instille en Allemagne et dans le reste du monde.
Comme le reste de la population, les scientifiques sont entraînés dans le tourbillon des interactions sociales. Les scientifiques y compris les Prix Nobel se positionnent politiquement. Beaucoup sont très réservés et prudents, mais d’autres s’impliquent dans l’idéologie communiste ou dans différents nationalismes. Les idéologies se renforcent.
Puis apparaissent les mesures politiques de ségrégation. En Allemagne, les juifs sont d’abord exclus de la fonction publique par la « clause aryenne », ce qui concerne aussi les professeurs et les chercheurs au nombre de 500 environ, dont 20 Nobel ou futurs Nobel. Beaucoup d’entre eux émigrent, parmi lesquels Albert Einstein. Les universités et les laboratoires se vident. Des livres sont brûlés par dizaines de milliers. Les nazis définissent ce qu’ils nomment la « science allemande » qui exclut, par exemple, la relativité qualifiée de « science juive ». Certains chercheurs collaborent misérablement. Werner Heisenberg a décidé de rester en Allemagne. Sa pratique de la physique quantique en fait une cible : il est dénommé « Juif blanc de la science » et des nazis réclament son assassinat. Mais il s’avère que sa mère connaît Himmler, alors il est réhabilité sous condition.
Roman ou récit historique ?
Le titre de la version originale en anglais est : Quantum: Einstein, Bohr and the Great Debate About the Nature of Reality (Mécanique Quantique : Einstein, Bohr et le grand débat sur la nature de la réalité).
Je trouve que le mot « roman » masque la valeur du récit historique de référence, alors que tous les faits relatés sont magnifiquement documentés grâce à 50 pages de notes (encyclopédies, livres, publications et articles scientifiques, correspondances, articles de presse…) L’auteur nous gratifie aussi d’une chronologie détaillée et d’un glossaire exhaustif.
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Manjit Kumar, diplômé de physique et de philosophie, nous offre un livre autant passionnant que précis. Merci à lui.
La mécanique quantique s’accompagne de mystères, parce qu’elle échappe à nos capacités sensorielles, à notre capacité d’imagination (les expériences de pensée d’Albert Einstein) et partiellement à nos outils de mesure.
La manière dont Neils Bohr (et Werner Heisenberg) ont si vivement coupé la route vers d’autres interprétations des phénomènes quantiques est un cas exceptionnel. La science est une description du réel, ne l’oublions pas. Cette description s’affine ou occasionne des mises en cause interprétative parfois radicales au cours de l’histoire. Et l’histoire n’est pas terminée. Mais lorsque des blocages d’ordre sociologique perdurent pendant un demi-siècle, le dogme vient s’ajouter l’énigme.
D’autre part, « Le grand roman de la physique quantique » livre d’histoire pourtant très orienté vers les sciences, met en exergue d’autres phénomènes. Par exemple, on constate que la science peut être accaparée par l’idéologie ou la politique, comme entre 1936 et 1945. Et j’entre-aperçois un bégaiement de l’histoire… En ce début des années 20 du 21e siècle, il est bien triste d’avoir vécu une intransigeance autoritaire peu fondée et hautement propagée par des méthodes d’ingénierie sociale paroxystique. Et diable ! Nous avons assisté à la résurgence du triste quadrille panurgique vieux comme le monde. Par l’usage des médias de masse, certains influenceurs d’élite ont refait le coup du « consensus scientifique », qui lui même a causé un bien sinistre dissensus sociologique. Quel affreux sentiment de « déjà vu » ou plutôt de « déjà lu ».
Alléchant.
Je vais le lire.
Vous ne le regretterez pas !
Ça fait partie de l’aventure, je suppose.
Merci pour ce commentaire.